Des droits imprescriptibles des sériphiles

14 janvier 2017 à 19:31 | Publié dans Séries | Laisser un commentaire
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top2016bOn pourrait presque croire que ça leur a pris comme une envie de pisser : toutes les rédactions de France et d’ailleurs se sont mises, ces dernières semaines, à nous pondre un article sur « la nouvelle pratique qui débarque d’outre-Atlantique et qui fait très très peur même qu’on a même trouvé un mot pour en parler », le « speed watching », le visionnage en accéléré des séries. Toutes les rédactions ? Après Rue89 qui a ouvert le bal, toutes : Les Echos, Libé, le Parisien, Biba, Camping Car & Caravaning… Je sais bien que les rares journalistes qui errent dans leur rédac déserte se font chier comme des rats morts entre Noël et le Jour de l’an, et qu’hâtivement traduire un article US qui claque du clic est toujours rentable, mais… oh, et ces réactions de vertu outragée dans toute sa splendeur, ces WTF atterrés !

Il m’arrive assez régulièrement de presser la touche + de mon VLC (que tout le monde utilise depuis bien cinq ans, alors l’innovation technique qui vient de sortir merci), principalement dans deux cas de figures : sur des storylines décevantes – si vous en voulez un parfait exemple, prenez tout ce qui touche à la fille Brody dans les saisons 2 et 3 de Homeland, c’était fascinant comme c’était nul – ou molles ; et lorsque je regarde des vieux épisodes des années 60/70 dont le rythme est tellement lent qu’en comparaison Rectify c’est du Sorkin.

Tenez, puisque vous avez la gentillesse de me lancer sur le sujet : je suis en plein dans les épisodes classiques de la cultissime Doctor Who de la BBC, qui fêtait il y a peu son cinquantième anniversaire. Pour ceux qui depuis leur bulle de filtre n’en auraient jamais entendu parler, cette série suit les pérégrinations d’un extraterrestre d’apparence humaine, le Docteur, qui dispose d’une machine à voyager dans le temps et l’espace et a pour hobby de protéger la Terre de tout ce qui peut la menacer. L’un des coups de génie des scénaristes est que le Docteur se régénère dans un nouveau corps au lieu de mourir, d’où l’épatante longévité de la série qui a débuté en 63 avant de faire un gros hiatus de 89 à 2005. Je ne peux que vous conseiller de vous y mettre si vous aimez un minimum l’imaginaire, en démarrant comme tout le monde avec les nouveaux épisodes de 2005 (et en vous obstinant malgré des débuts parfois kitschs, qui ont dû ravir ceux qui étaient en terrain connu mais peuvent quelque peu dérouter le novice de 2017). Si vous accrochez  au point d’acheter choses aussi bizarres que des T-shirt mash-up avec Futurama, vous aurez peut être envie de mettre le nez dans les saisons classiques, qui pour sympathiques qu’elles soient sont également d’une lenteur incroyable et d’une longueur du même allant, où le visionnage en x2 n’est pas vraiment un luxe.

Un reproche me surprend un peu, c’est celui du manque de respect envers l’ŒUVRE, le travail de l’auteur et la façon dont il a voulu que la série soit vue. Je ne sais pas vous mais j’ai eu une période où ado je dévorais David Pennac (je crois que j’ai lu Messieurs les Enfants d’une traite, une nuit, avant de le relire non moins d’une traite à peine les derniers mots finis), et j’avais particulièrement aimé les Droits Imprescriptibles du Lecteur qui figurent dans son livre-manifeste Comme un Roman. Le droit de ne pas lire, de relire ou de ne pas finir, le droit de lire n’importe quoi et n’importe où, le droit de revenir en arrière ou de sauter des pages. J’étais déjà un gros lecteur, mais ça m’avait fait un bien fou (alors imaginez l’effet sur un enfant qui n’aime pas lire).

Alors, amis sériphiles, vous faites bien ce que vous voulez ; regarder en accéléré, c’est comme dévorer un plat ou un bouquin. Si c’est sur un chef d’œuvre c’est dommage pour vous, ça serait comme avaler de la haute gastronomie. Vous louperez les nuances, les musiques, les détails ; je pense qu’il vaut mieux le réserver à des créations moins abouties, à des storylines moins intéressantes. Mais dans le fond, vous ne devez rien au créateur.

D’ailleurs, je suis certain que vous êtes nombreux à avoir lu cette longue intro en accéléré, confirmant par là même que vous êtes de fieffés coquins.

Coucou, au fait, ça faisait un bout de temps qu’on ne s’était pas croisés en ces lieux. J’ai réouvert les fenêtres, tu peux rentrer, ça ne sent plus trop le renfermé.

Ça m’a moi aussi pris comme une envie de pisser. Il faut dire que l’excellent et beau site de sériphiles Spin-Off, que je fréquente depuis un bout de temps et dont j’ai récemment rejoint la rédac (c’est un bien grand mot pour mes quelques brèves et résumés), m’a demandé de coucher une quinzaine de lignes sur le bilan sériel de l’année, et que n’étant absolument pas bavard je n’ai absolument pas été frustré de devoir faire court. Vous pouvez aller lire le non moins excellent et bel article ici, et pourquoi pas vous inscrire, c’est l’endroit idéal pour discuter séries entre gens de goût.

A l’heure des bilans de l’année, il faut bien reconnaitre que j’en ai regardé un bon petit paquet (principalement au détriment des films, d’ailleurs) : une quarantaine de la cuvée 2016, dont une bonne quinzaine de nouveautés choisies avec soin, auxquelles il faut rajouter quelques rattrapages : les deux premières saisons de Six Feet Under (on sent le chef d’œuvre en puissance, mais c’est vraiment le genre de chose à ne pas avaler d’un coup), une dizaine de Doctor Who Classic donc, mais aussi deux très belles mini-séries de David Simon : Generation Kill sur la guerre du Golfe et The Corner, précurseure de The Wire dont le dernier plan, sur le visage de la personne qui a inspiré l’un des personnages vous hantera sans doute longtemps ; beaucoup plus léger : j’ai enfin vu le Visiteur du Futur (c’est top), et j’ai enchaîné avec J’ai jamais su dire non (c’est pas top). Au final, ça nous fait un peu plus d’une saison par semaine, c’est un bon rythme.

La mini-série de HBO The Night Of est mon coup de cœur de l’année : l’histoire de ce garçon accusé du meurtre de la jeune femme avec qui il a passé la nuit alors que ses souvenirs sont plus que fragmentaires est une tragédie au sens classique du terme, tant le sentiment d’inéluctabilité et de broyage y est grand ; elle est portée par un casting excellent et un réalisme sur la vie judiciaire et carcérale américaine formidable : rien ne nous est épargné de sa descente aux enfers, malgré le soutien d’un avocat habituellement bien loin des grands procès criminels, d’un baron de Rikers (le toujours aussi chouette Michael K. Williams) qui le prend sous son aile et d’une famille aimante mais qui accuse forcément le coup. Elle est un peu l’opposé de Rectify, qui tirait sa révérence après quatre très belles saisons, et qui portait au contraire cette année un très beau regard sur l’espoir, le bonheur et la reconstruction ; cette histoire d’un condamné à mort libéré grâce à un test ADN, sans que sa culpabilité ne soit bien déterminée, est définitivement à voir pour peu que vous ne soyez pas allergiques aux séries contemplatives.

Penny Dreadful s’achevait également, de manière impromptue, et aura été fascinante de bout en bout : j’aurai adoré cette fusion de tous ces mythes modernes (citons en vrac et en en oubliant Dorian Gray, Dracula, Frankenstein, Jekyll & Hyde, sorcières et loups-garous…). Là encore un casting impeccable, et des épisodes centrés sur Vanessa Ives toujours aussi brillants. Mon autre révélation de l’année a été The Young Pope, surtout dans ses premiers épisodes : Jude Law y incarne un Pape retors, libre et incroyablement charismatique précipité à un pouvoir absolu alors même qu’il n’a pas eu besoin de dévoiler ses cartes. Sa première homélie, terrible, formidable, stupéfiante, est une des grandes scènes de l’année. Ça ne parlera certainement pas à tout le monde, c’est assez possible que ça ne vous plaise pas si vous êtes catholiques, mais ça peut aussi terriblement vous accrocher. Et puis ce générique, putain.

Plusieurs confirmations : Peaky Blinders, sur un gang de Birmingham au début du XXème siècle, est toujours aussi belle et réussie. Mr Robot, la bombe de l’année dernière, était attendue au tournant mais est pleinement parvenue à continuer sur sa lancée ; c’est probablement la série qui demande le plus d’attention et de vigilance, mais elle est aussi ô combien gratifiante. Better Call Saul est de plus en plus un franc succès, dans la droite ligne de Breaking Bad (je crois que je l’ai déjà dit, mais si vous n’avez pas vu Breaking Bad considérez vous chanceux d’avoir un putain de chef d’œuvre à découvrir et mettez vous y sitôt cette note terminée, vous me remercierez), alors même qu’un de ses visages emblématiques s’apprête à faire son retour. Enfin, deux comédies sortent du lot : Bojack Horseman, toujours aussi drôle et douce-amère, dont l’épisode sous-marin est épatant, et Atlanta, par et avec Donald Glover (aka Childish Gambino, aka Troy de Community) ; fou, déstabilisant et intelligent.

top2016-suiteIl y a d’autres très grands moments : cet épisode centré sur le personnage d’Edgar dans You’re The Worst (qui est passionnante dans son traitement de la dépression, du deuil et du stress post-traumatique – dis comme ça ça peut faire bizarre pour une comédie, mais c’est aussi souvent très drôle) ; une scène absolument fabuleuse dans Veep impossible à décrire sans spoiler (salle de réunion, Mike, j’en dis pas plus) qui m’a collé un énorme fou rire, les fins de saison de Black Mirror, Game of Thrones et Westworld, et les chouettes délires que constituent les lancements réussis de Preacher, Dirk Gently, Braindead et The Good Place, autant de bonnes surprises de l’année sur lesquelles vous pouvez foncer les yeux fermés.

Je ne les ai pas citées, mais les Stranger Things, Halt and Catch Fire, Masters of Sex, Orange in the New Black, The Man in the High Castle, Baron Noir, Man Seeking Woman et autres High Maintenance sont aussi bien cools.

Les déceptions se comptent finalement sur les doigts d’une main : Vikings se dilue beaucoup trop avec deux fois plus d’épisodes malgré des scènes de baston toujours aussi réussies, South Park s’est effondrée après l’élection de Trump dont on dira à leur décharge qu’ils étaient loin d’être les seuls à ne pas l’avoir vue venir, Orphan Black est inutilement absconse en dépit d’un premier épisode prometteur, et je trouve The Walking Dead vaut surtout pour ses centrics sur des personnages secondaires, à commencer par Morgan et Carol.

Une année série réussie donc, malgré le sentiment lancinant sans doute propre à beaucoup de sériphiles de passer à côté de plein de choses (il y a 450 séries diffusées rien qu’aux Etats-Unis : heureusement qu’il y a des critiques comme Pierre Langlais ou Pierre Sérisier et des sites communautaires comme Spin-Off pour faire son choix), et plein de promesses pour 2017. Avec, en prime, la fin attendue de The Leftovers (sacrée chialade en perspective) et le retour de Fargo, Sherlock et Doctor Who.

Ça m’a pris comme une envie de pisser, mais ça m’aura fait bien plaisir de te recroiser sur ce blog à la périodicité aussi aléatoire que la diffusion de Sherlock, ami lecteur. Je ne m’engage à rien, mais on essaie de se recapter avant 2020.

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