Le coût du travail

8 décembre 2013 à 15:57 | Publié dans Du Chauff dans le texte | Laisser un commentaire

« Excellent, Monsieur Fargal. Nous pensons que vous avez toutes les compétences requises pour ce poste. Pouvez-vous s’il vous plait écrire ici vos capacités salariales, avant que nous délibérions ? »

Monsieur Fargal, lui, n’en menait pas large. Oh, il savait très bien qu’il les avait, les compétences. Pour ce type de poste, tous les candidats étaient même largement surqualifiés. Et il savait très bien que désormais tout se jouait sur la question de la rémunération ; à chaque fois il était trop bas, à chaque fois des types qui pouvaient se le permettre lui étaient passés devant. Mais, eh, il ne pouvait pas inventer l’argent, et mentir sur ses capacités salariales était naturellement un crime.

Il prit la feuille que l’un des recruteurs lui tendait, et inscrivit fébrilement « 24k ». Il ne pouvait pas aller au-delà : à ce tarif, toute la famille serait déjà condamnée aux pâtes au beurre sans beurre, et encore pas à tous les repas. Mais il était en fin de droits, et ce serait bien pire pour tout le monde s’il n’obtenait pas ce boulot.

La réponse du recruteur ne se fit pas attendre bien longtemps : « 24k ? Désolé, mais vous êtes nettement trop bas. Nous avons eu une offre à 40, et nous savons que nous finirons par trouver mieux ! Pour un poste à la semaine de quatre jours dans un bureau, notre objectif est à 50. Nous vous gardons toutefois dans notre vivier, n’hésitez pas à nous contacter si votre situation financière venait à s’améliorer. D’ici là, nous vous souhaitons bonne chance pour vos recherches. »


Dans le métro aussi sordide que bondé qui le ramenait chez lui, Fargal se fit une nouvelle fois la réflexion que cette société ne se révolterait jamais, quoi qu’elle puisse endurer. Les gens avaient choisi leur combat, et c’était celui du quotidien : se précipiter sur une place assise, faire semblant de ne pas voir ceux qui restaient sur le quai pour défendre son strapontin malgré les regards noirs de ceux qui n’attendaient que de pouvoir prendre la place.

Bien sûr, à l’époque, certains s’étaient battus. Mais les digues avaient sauté, et de plus en plus vite. Aux manifestations monstres contre la suppression du salaire minimal, voté malgré une mobilisation de plusieurs mois, avait succédé une mince contestation de l’autorisation du travail gratuit. La légalisation du travail payant n’avait été dénoncée que du bout des lèvres, tandis que les attentats contre les premiers travailleurs à avoir accepté de payer pour un emploi achevaient de décrédibiliser les rares voix qui s’élevaient encore contre une évolution que la société considérait finalement comme une simple suite logique.

Le surlendemain, il deviendrait un Parasite. Alors qu’une large majorité de la population active était concernée, le terme avait perdu de sa charge infamante. Mais ses conséquences n’avaient fait qu’empirer. Il se demandait comment il allait bien pouvoir annoncer à sa femme que tous deux allaient devoir rejoindre la Force de Travail Assistée et trimer dix heures par jour pour presque rien, et qu’ils allaient perdre toute protection sociale. Comment il allait pouvoir expliquer à leur fille de huit ans qu’elle ne reverrait plus ses camarades de classe, et allait être transférée dans une école dégradée pour les enfants d’assistés et passer la moitié de sa journée à fabriquer des produits électroniques ou à coudre des t-shirts. A côté de ça, la stérilisation temporaire qu’il allait devoir subir était presque de la rigolade.


La plupart des États avaient été confrontés au même choix de société, et la plupart avaient pris le même parti : détourner la puissance publique au profit de l’oligarchie, profiter de la crise pour créer le chômage de masse, stigmatiser le cancer de l’assistanat, et paupériser les travailleurs pour fabriquer une immense armée de main d’œuvre bon marché.

Dans certains pays cependant, les citoyens avaient pris le chemin opposé. Ils s’étaient férocement opposés aux détenteurs du capital en limitant drastiquement leurs revenus et leurs richesses. Ils avaient mis en place un revenu universel garanti qui permettait à chacun de vivre, qu’ils fassent le choix de travailler ou non. Ils avaient drastiquement réduit la durée du travail. Assez logiquement, ces derniers avaient prospéré. La consommation des ménages ne s’y était pas écroulée, la productivité y avait explosé, et leur économie était florissante en comparaison de celle des états néolibéraux ou néofascistes. Et les gens y avaient l’air nettement plus heureux.


Fargal songea un instant à s’enfuir, avant de se raviser. Échapper au travail assisté était un crime qui le conduirait tout droit en prison, où il serait bon pour trimer encore plus sur les tâches les plus dangereuses ; les détenus survivaient rarement à leur peine. Il décida finalement de se rendre directement à la Maison des Assistés pour y être enregistré. Bien sûr, y aller dès aujourd’hui lui permettrait d’éviter le grand rush de début de mois, mais il voulait surtout retarder son retour chez lui.

– « Votre dossier est complet, Monsieur Fargal. Veuillez me remettre votre Carte de Travailleur et votre Carte de Protection Sociale, et vous diriger vers l’infirmerie.
– Et ma carte d’électeur ?
– Comment iriez-vous voter sans carte d’électeur ?
– Ahah. Oui. C’est vrai. J’imagine que tout le monde se plante, la première fois…
– Mais non, quelle drôle d’idée ! Ça fait trois ans que je suis ici, et vous devez bien être le premier à me dire une chose pareille ! »

Un petit plat cuisiné

13 Mai 2010 à 18:08 | Publié dans Du Chauff dans le texte | Un commentaire

Il souffle comme un vent triste sur ce blog.

L’explication en est tristement prosaïque : aux heures où le génie créatif s’éveille, à ces heures du petit matin que si peu de monde connait et que j’apprécie tant, je dors. C’est triste. Très triste. L’impression douloureuse de commencer à se faire avoir par la société.

Une autre excuse : alors que je rame comme un damné pour finir un rapport de stage de mes deux, écrire ici serait tout de même culpabilisant. La procrastination (si vous avez quelque chose de pressé à rendre, cliquez sur ce lien. Ne me remerciez pas, hin hin hin) a quand même des limites.

Alors, au lieu de passer deux heures sur un billet, je passe un vieux texte au micro-ondes, la période où je faisais un peu de JDR sur l’intraweb. Si le style vous rappelle furieusement l’encyclopédie Naheulbeuk en moins bien, c’est normal.

Ça parle des trolls salaces, et c’est une histoire digoulasse.

On en sait peu sur les trolls salaces, et on en dit encore moins. Mythes, réalités, fantasmes collectifs ? Ces trolls salaces, qui sont-ils ? Votre serviteur s’est penché, mais pas trop quand meme, sur cette question épineuse, voire purement dardue.

Ces bêtes là, on ne s’en approche pas trop, et pour des raisons évidentes, du moins évidente pour tout individu sain d’esprit (lesquels se reconnaissent en général à ce qu’ils partagent cette opinion), ce qui j’en convient n’est pas le cas de tout mon lectorat. Les Trolls salaces, c’est gros et ca pue. Mais c’est surtout absolument insensible au feu. Leur peau est ainsi utilisée dans la composition de plusieurs armures, uniquement destinée à narguer les mages élémentalistes qui ont fait le mauvais choix de spécialisation. Il est cependant notable qu’une fois séchée, seule la partie postérieure tannée par des années de position assise conserve ces propriétés. Et elle, elle vaut très cher, d’où l’expression troll salace, « Gromba di lano », hâtivement traduite par « ça coûte la peau du cul ». Transition toute trouvée pour évoquer l’exception culturelle de ces peuples : ces trolls ont l’habitude de s’adonner à des pratiques avec leurs victimes que certaines morales, que d’aucuns jugent « mal baisées », réprouvent, avant de les éviscérer pour de bon, mais avec le sourire. D’où leur nom, vous l’aurez compris.

Ce qu’il faut aussi savoir, c’est que chez les trolls salaces, on a des valeurs. Pas de ca dans la famille ! Et pourtant, il faut bien éduquer les jeunes à l’art sacré du salaçage. Eu égard au fait qu’ils habitent dans le trou du cul du monde, autant dire que les chroniqueurs en goguette et les quèteux assez crétins pour se faire avoir à ce point sont assez recherchés par les mères de famille.

D’après les récits d’Escougnor qui était, je cite, « pas courageux, mais téméraire, et surtout profondément détraqué », il existerait deux grands groupes de trolls salaces : les trolls salaces des montagnes et les trolls salaces des profondeurs. Il y aurait aussi les trolls salaces des marais, et les trolls salaces ohvisalaces, mais personne n’est allé vérifier.

Escougnor affirme que le schisme apparu dans ce qui était auparavant une tribu unie où il faisait bon empaler était avant tout une affaire de personnes. Le grand Coud’latt du clan, le sorcier local, avait ainsi déclaré qu’au rythme où on allait, on se dirigeait tout droit vers une sacrée mutation congénitale, ultrabourrine à souhait et malheureusement hautement transmissible, qui en moins de tant qu’il n’en faudrait pour éviscérer ce que l’on voulait tuerait le tiers de la population, rendrait sourde, muette et aveugle un autre tiers et définitivement névrosée ceux qui ne l’était pas déjà. Si vous vouliez rester, vous deviez donc être soit sourd, muet et aveugle, soit névrosé, soit mort, soit un peu des trois, et par conséquent vous vous trouviez déchu de tout droit de vote. Le schisme fut, chose étrange, approuvé à l’unanimité des votants. L’expression « république bananière » viendrait, selon les plus grands politologues, de cette sombre journée dans l’histoire troll, même si une moralité des plus candides m’empêche de comprendre pourquoi. Il semblerait d’ailleurs que toute cette histoire soit relativement truandée, d’autant qu’il a fallu traduire ca du troll salace en passant par l’araméen. Toujours est il que depuis, les différentes espèces de trolls salaces ne se parlent plus et que s’il y a bien eu des tentatives de conciliation œcuméniques, elles ont fini en eau de boudin.

Mais abordons l’aspect pratique, parce que c’est sans doute bien pour cela que le voyageur paie (grassement) ces chroniques, plus que pour le plaisir d’être un putain d’érudit, position qui a peut être du bon lors d’un diner en ville…sauf quand vous êtes le diner des trolls. Que faire, donc, si vous tombez sur un troll salace ?

Trois solutions : leur lancer de la poudre de Goelbs à la figure, poudre réalisée à partir de couilles de yack des hauts lacs, pilées et macérées, mélangées à un poil de cul de démon mineur, et à du jus de pomme pour le goût, ce qui réduit généralement significativement la libido du troll et le dissuade d’attaquer. Vous pouvez aussi vous métamorphoser en troll salace de l’autre ethnie, les deux espèces étant en froid et s’ignorant depuis des millénaires, mais seulement si vous avez le niveau. D’ailleurs, ça laisserait un certain nombre de séquelles… La dernière étant d’improviser, ce que, par une anomalie statistique, choisissent 98,342% des candidats. Après, c’est toujours à vous de voir.

Voilà, vous savez à peu près tout sur ce peuple aux habitudes si charmantes et pittoresques. Quant à moi, je crains d’être obligé de vous laisser, du moins temporairement. C’est que j’ai une meute aux trousses, et que le coté pittoresque de la chose m’échappe temporairement…

Propulsé par WordPress.com.
Entries et commentaires feeds.